Contrôle n°201

CONTRÔLE | N° 201 | DÉCEMBRE 2016 38 © DR L a campagne de distribution d’iode, ou plus exactement l’invitation à retirer des boîtes de comprimés d’iode en phar- macie, se heurte, par nature, à une diffi- culté majeure : elle consiste à inciter les habitants des zones concernées à faire un geste qu’ils n’ont pas envie de faire. Non pas parce que cela leur coûte. Les études conduites pour l’ASN en 2009 avaient montré que le retrait en pharmacie est à la fois perçu comme commode (non contraignant) et rassurant, dans la mesure où il offre la possibilité d’un échange avec un professionnel de santé. La prétendue réticence des habitants à aller récupé- rer ces comprimés n’est pas non plus une difficulté. Ce serait finalement plus simple : il s’agirait alors de comprendre ces motifs de réticence et d’y opposer des contre arguments ou des compen- sations. Nos études nous ont appris que c’est l’absence d’envie qui caractérise le non retrait, et que celle-ci se manifeste à la fois par une absence de motivation et par une mise à distance du sujet. Les gens savent qu’en cas d’alerte il pourra être nécessaire de recourir à la prise d’iode. Ou plus exactement la part rationnelle de leur cerveau le sait. Ce « cerveau rationnel » rappelle que reti- rer sa boîte de comprimés pour en dis- poser à tout moment à domicile est le bon comportement : il ne coûte rien, et son utilité est considérable, dans un cas dont la probabilité est, au regard de l’ex- périence, extrêmement faible mais non nulle. Coût : zéro ; bénéfice : légèrement supérieur à zéro. Face à un tel arbitrage, la rationalité commande de se doter de la boîte de comprimés. C’est pourquoi les personnes non équipées que nous avons interrogées ne disent pas non à la boîte de comprimés. Elles disent qu’elles iront la chercher, plus tard, qu’elles n’en ont pas eu le temps, qu’elles n’y ont pas pensé. Ce dernier aveu est sans doute le plus proche de la vérité. Les gens n’y pensent pas car ils ne veulent pas y penser. Avoir à l’esprit la nécessité de chercher sa boîte de comprimés suppose d’avoir en même temps en tête la possibilité d’un accident et c’est désagréable. Les personnes que nous avons rencontrées et qui vivent à proximité des centrales nucléaires oscillent en réalité entre deux attitudes plus ou moins conscientes : la certitude qu’il n’arrivera rien et la représentation cataclysmique des accidents nucléaires. La première attitude relève déjà d’une forme d’inconscient. Les personnes que nous avons interrogées affirment, bien sûr, que le risque zéro n’existe pas, qu’il peut toujours se passer quelque chose, mais ils évacuent cette éventualité, parce qu’il est difficile de vivre avec elle. Ils ne sont pas dans le déni mais dans la déné- gation, ils savent mais au fond d’eux n’y croient pas, et cette résistance sous- jacente est difficile à contrecarrer car elle offre peu de prise. Dénégation et exagération Au fil de nos entretiens, nous avons pu mettre à jour un autre phénomène, plus enfoui. Celui qui consiste à assimiler l’accident nucléaire à une catastrophe d’une ampleur telle que le comprimé d’iode n’offrirait qu’une protection déri- soire. Lorsque l’on pousse les personnes interrogées à évoquer l’accident, à le décrire, les images qui surgissent vont parfois au-delà même de l’expérience des accidents les plus marquants surve- nus dans d’autres pays : quelqu’un nous a ainsi parlé de champignon atomique. Dans l’inconscient collectif, le nucléaire, c’est aussi la bombe. Cette dimension très latente ne fait que renforcer la pre- mière, la négation du risque, parce que sa présence à l’esprit crée une tension que l’on cherche à évacuer. La perception du risque existe, mais sous une forme exa- gérée, et d’autant plus refoulée qu’elle est exagérée. Tant et si bien que les évo- cations spontanément associées aux centrales nucléaires par les riverains ne sont que des évocations positives : fierté technologique, dynamisme économique, élément familier du paysage. La culture du « petit risque » nucléaire, face auquel un « petit geste » comme la prise d’iode semblerait approprié, est absente. Cette lacune se vérifie chez nombre de per- sonnes qui gèrent un établissement recevant du public. À l’exception des LA FONCTION DE LA BOÎTE DE COMPRIMÉS N’EST PAS DE RASSURER MAIS DE RAPPELER L’EXISTENCE D’UN RISQUE Par Emmanuel Rivière, directeur général France, Kantar Public EN QUESTION La gestion des situations d’urgence Le point sur la campagne iode 2016

RkJQdWJsaXNoZXIy NjQ0NzU=