Contrôle n°201

DÉCEMBRE 2016 | N° 201 | CONTRÔLE 11 Contrôle : vous étiez présent lors de l’accident de Fukushima. Pourriez- vous nous expliquer quel a été votre rôle, en particulier vis-à-vis du Premier ministre et du Gouvernement ? Masaya Yasui: j’ai été dépêché en urgence au cabinet du Premier ministre trois jours après l’accident. J’ignorais quelle serait précisément ma mission, si ce n’est répondre à une demande urgente d’infor- mations de la part du Gouvernement. Je me suis donc attaché à fournir des explications sur la situation au Premier ministre et aux membres de son cabinet et leur ai exposé ce qui, selon moi, s’était passé et allait se passer. J’ai alors com- pris à quel point la transmission d’in- formations aux responsables politiques était cruciale dans les situations d’ur- gence nucléaire. Quelle a été l’incidence de cet accident en 2011, et de votre propre expérience de l’événement, sur les plans d’urgence et les exercices de crise mis en place aujourd’hui au Japon ? Nous nous sommes rendu compte que la préparation et la capacité de réponse du Japon aux situations d’urgence étaient très insuffisantes. Par conséquent, après l’ac- cident, un bureau spécialement chargé de coordonner la préparation et la réponse aux situations d’urgence nucléaire a été mis en place au sein du cabinet du Premier ministre. Il est aujourd’hui composé d’une soixantaine de personnes. Avant l’accident, les exercices de crise suivaient des scénarios préétablis : les participants connaissaient par avance le déroulement de l’exercice et savaient ce qu’ils devaient dire et faire . Depuis l’accident, les exercices sont sou- vent effectués « à l’aveugle », ce qui signifie que la plupart des participants ne savent pas ce qui va se passer. Par ailleurs, beaucoup d’exercices simulent désormais des situations qui vont jusqu’à l’accident grave entraînant l’émission de substances radioactives. Les municipalités participent à certains de ces exercices, durant lesquels les procédures d’évacuation sont généralement testées. L’autorité de sûreté nucléaire du Japon (NRA) évalue chaque année les exploitants sur les exercices les plus importants. Les résultats sont rendus publics. Vous avez pu observer un exercice de crise dans les locaux de l’ASN et de son appui technique, l’IRSN, en mai 2014. Quelles sont vos principales remarques sur cet exercice, mené avec « pression médiatique simulée » ? Le centre d’urgence de l’ASN était plutôt calme et efficace. Les personnes présentes se sont montrées compétentes. Au Japon, le centre d’urgence de l’autorité de sûreté s’est doté d’un écran affichant des données sur les centrales et d’un sys- tème de vidéoconférence en réaction aux difficultés de communication lors de l’acci- dent de Fukushima. Cela rend notre centre d’urgence relativement bruyant, mais nous pouvons ainsi obtenir davantage d’infor- mations en temps réel. J’ai trouvé que la pression médiatique simulée était une initiative intéressante. Mais j’ai eu l’impression lors de cet exer- cice que les grands médias français se montraient un peu trop compréhensifs. Après ma visite en France, j’ai demandé que la NRA procède à des exercices simi- laires étant donné l’importance de la com- munication avec les médias. L’ une de mes suggestions concerne la transmission d’informations aux respon- sables politiques. Quand un accident grave se produit, ceux-ci ont besoin de beaucoup d’informations, notamment de données sur l’état de la centrale et d’une évaluation de la situation. Étant donné la gravité d’un tel événement, le président de l’ASN pour- rait être amené à les informer directement de la situation. Il est donc primordial que le centre d’urgence de l’ASN lui fournisse assez d’informations. Cela nécessite d’af- fecter du personnel à cette tâche, d’être en mesure de recueillir suffisamment d’informations et de disposer de lignes de communication fiables. Vous avez souligné le rôle décisif du grand public, à travers les questions de la presse mais aussi via les réseaux sociaux. Pensez-vous que ce rôle a changé depuis 2011 et comment peut-il être mieux pris en compte dans les exercices de crise? Après un accident, le grand public et les médias sont avides d’informations. En outre, la technologie actuelle permet à la population d’accéder à des informations en temps réel, par exemple à des images de la centrale en question, à la télévision, sur Internet ou encore sur les réseaux sociaux, ce qui signifie que le grand public peut identifier une situation anormale avant même les autorités. Au vu de ces éléments, il est essentiel que l’équipe chargée de la réponse aux situations d’urgence apporte au grand public et aux médias autant d’in- formations que possible dans les plus brefs délais. À titre d’exemple, lors de l’exercice français, la FARN a a été déployée tôt au cours du scénario. Son déploiement ou celui d’autres équipements visibles seraient facilement remarqués par les citoyens qui pourraient diffuser immédiatement l’infor- mation à un grand nombre de personnes via les réseaux sociaux notamment, ce qui créerait une forte pression médiatique. Il est essentiel que les autorités publiques soient informées au plus tôt du déploie- ment de la FARN pour pouvoir anticiper la communication vis-à-vis du public. Il est cependant très difficile d’obtenir des données suffisamment nombreuses et pré- cises lors d’un accident. Par ailleurs, la collecte, la transmission et le tri des infor- mations prennent du temps. D’après mon expérience, les accidents génèrent imman- quablement de la confusion et un déficit d’information. Le problème n’est donc pas simple mais il peut être en partie résolu grâce aux exer- cices de crise à l’aveugle, qui obligent les participants à fournir des informations avec un temps de préparation restreint. LA TRANSMISSION D’INFORMATIONS AUX RESPONSABLES POLITIQUES EST CRUCIALE DANS LES SITUATIONS D’URGENCE NUCLÉAIRE Entretien avec Masaya Yasui, Director-General of Technical Affairs, Autorité de sûreté japonaise © NRA a. Force d’action rapide nucléaire mise en place par EDF à la suite des ECS.

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